“Elles sont bien étranges les œuvres de Claire Chesnier.
On s’approche, sûr d’y reconnaître de la peinture. Ce sont des encres colorées. Nulle épaisseur, impossible de discerner les variations de traitement de surface. Les tons sont chauds et froids, lumineux et sombres, sans qu’on puisse appliquer le mot de dégradé. Elles se présentent un peu comme de très gros plans de paysages sans aucun détail visible. Ciels embrumés du matin ou du soir ; lointains vaporeux agitent le souvenir d’une peinture romantique qui aurait perdu son sujet tout en gardant sa sensibilité. Ou bien le souvenir des Nymphéas de Monet auxquels resterait seulement une étendue d’eau. Ce qui se donne est ce qui se perd, et au premier instant on ne saurait rien qualifier ni nommer. Quand l’horizon, le rivage, l’illusion sont soustraits, la tentation de dire – de dire ce que c’est –, aussi est suspendue”. […]
“Il suffit de regarder pour se convaincre qu’entre les œuvres accrochées aux cimaises et celles à l’horizontale, sur des socles, Claire Chesnier ne demande rien de plus ou presque que lever et baisser les yeux : accepter des surfaces qui se déploient dans le temps d’un arrêt. Et si l’on ne fait que glisser sur les images d’une époque à l’increvable prolifération, à même la surface de ces œuvres se joue une interruption, offrant la question du désir et des illusions dans des reflets brillants et satinés qui ont la présence mate de miroirs qui ne renverraient plus d’image.
Qu’as-tu voulu voir ? Peut-être le sujet perdu de ces détails grossis de paysages absents est-il le spectateur. Comme si la profondeur était devant les œuvres, logée dans l’insondable attente de voir. La question se repose avec deux œuvres couchées à l’horizontale, profondes comme si l’on se penchait au-dessus d’un puits. D’une profondeur de gisants. Et cet immense peuple endormi appelle non seulement à contempler son immobilité mais à recueillir son silence. Pourquoi continuons-nous à regarder où il n’y a rien à voir ? Pour renouer avec une attention vigilante qui déchirerait la vanité inépuisable des mots, et ce qu’il reste de nos corps perdus. Pour être le temps d’un regard devant ce qui ne ment pas de n’être qu’ici.”
Corinne Rondeau, 2016