Sam Francis (1923-94) a servi dans l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale. Au cours d’un entraînement au vol avec l’Army AirCorps en 1943-45, il a été si gravement blessé qu’il a dû passer plusieurs années confiné dans un lit d’hôpital. En 1945, il a commencé à s’intéresser à l’art et s’est mis à peindre alors qu’il était encore alité. La nuit, son ami le peintre David Park lui apportait des reproductions d’oeuvres d’artistes célèbres, afin qu’il puisse se familiariser avec elles. Lorsqu’il étudie l’art entre 1946 et 1950 dans la baie de San Francisco, il est plus jeune que ses confrères, mais réalise tout de même l’une de ses premières peintures abstraites entre 1946 et 1947.
 
Francis n’est pas à proprement parler un membre de l’école de New York puisqu’il a vécu et travaillé en Californie, en France et en Asie. Il a néanmoins des contacts avec les artistes new-yorkais, en particulier avec Mark Rothko et Clyfford Still, avec qui il étudie la peinture à l’Université de Californie, Berkeley, de 1948 à 1949. À cette époque, sa peinture est fortement influencée par Claude Monet. Il était également fasciné par Matisse et par la sculpture de Constantin Brancusi, à qui il rendit visite dans le cadre de ses études lors d’un séjour à Paris.
 
À partir de 1950, les oeuvres de Francis sont de plus en plus souvent intégrées dans des expositions new-yorkaises, notamment The New American Painting au Museum of Modern Art (1958-59). Le MoMA a joué un rôle clé dans la promotion du mouvement expressionniste abstrait, en particulier lorsque Dorothy Miller a été la commissaire de cette exposition qui a été présentée dans huit pays européens différents en plus de New York. Outre les oeuvres de Francis, l’exposition contenait également celles de de Kooning, Pollock et Tworkov. Pour l’occasion, un portrait photographique pris par Irving Penn est publié dans le magazine Vogue, montrant Francis avec ses collègues artistes Tworkov, Newman, Theodoros Stamos, Brooks, Kline, Guston et Baziotes. À cette époque, Francis loue un deuxième studio à New York et commence à travailler sur sa peinture murale de la Chase Manhattan Bank. C’est également à cette époque qu’il réalise l’oeuvre monumentale Untitled (SF59 412), 1959, l’étude principale pour la Chase Manhattan Bank Mural (1959). 
 

Il s’agit d’une peinture all-over aux couleurs primaires vives ; la surface presque entièrement recouverte donne à l’observateur une impression d’étendue infinie, avec des aperçus occasionnels de délicats écheveaux de couleur qui ressemblent à des gouttes éparpillées sur la toile. À cet égard, Francis peut également être associé à l’Action Painting, avec son application libre et gestuelle de la peinture. 

 

Francis a étudié la biologie, la biochimie et la médecine avant de se tourner vers l’art. Il s’est donc intéressé à la composition structurelle des cellules, dont les formes biomorphiques sont parfois visibles dans ses oeuvres, comme dans la petite peinture à l’huile Sans titre (SFP59 166), 1959. Grâce à plusieurs voyages à travers le monde, qui le conduisent en Asie, notamment au Japon, son travail est également influencé par les enseignements mystiques de l’Extrême-Orient, et il étudie les possibilités d’expression offertes par les surfaces vierges.

 

Francis suit le développement continu de diverses formes d’abstraction, mais grâce à son utilisation de surfaces ouvertes et de peintures minces et fluides, il crée ses propres concepts de composition, perfectionnés dans Sans titre (SF64 048), 1964. L’évolution de sa série Blue Ball est déterminée par les différents cercles colorés qui semblent jaillir de la surface peinte. La composition imite la vue d’un avion, la façon dont les paysages sont vus d’une grande hauteur. Francis choisit des couleurs primaires particulièrement intenses, diluées et appliquées sur la toile en lignes fluides, presque transparentes. Cette technique aboutit à une composition nettement libre et, avec ses espaces ouverts, elle renforce ses thèmes de la lumière et de l’espace.

 

Comme le montrent les écrits de Francis, l’aspect métaphysique de ses oeuvres est le résultat de l’influence de son père, professeur de mathématiques, ainsi que de ses propres études. Son oeuvre tardive, à partir du début des années 1980, est inspirée par les idées fondamentales de la méditation. Il commence à utiliser des toiles de plus en plus petites, qu’il remplit de motifs de mandalas issus de son conscient et de cercles peints à partir de son subconscient. Dans Untitled (SF79 1090) et Untitled (SF79 1096), 1979, Francis crée des mandalas dans des couleurs fortes, comme le vert ou le rouge. Ils sont intensément concentrés et rendus sous la forme d’une porte ou d’une sorte de rectangle.

 

Les cercles noirs et blancs de Sans titre (SF85 557) et Sans titre (SF85 558), 1985, peuvent être considérés comme des ornements calligraphiques ; ils peuvent aussi rappeler des visages ou divers types de mandalas. Le cercle est considéré comme un symbole de l’infini et, dans la philosophie orientale, c’est un symbole zen.

 

Pour Francis, ses oeuvres sur papier avaient le statut de peintures, qu’il travaille à l’huile, en petit ou en grand format. À ses yeux, les petites peintures étaient d’égale importance que les grandes, puisqu’elles nécessitaient la même préparation et qu’elles constituaient chacune une oeuvre indépendante. Sa préférence pour l’encre japonaise sumi lui permet de varier les ombres d’un noir riche à un gris doux.

 

Kirstin Hübner